Le coeur est un oiseau
J'aurais vécu deux mois ici sans voiture sans téléphone sans sèche-cheveux, sans machine à laver, sans télé (mais avec Internet0 Qu'est-ce qui manque le plus? La télé, on s'en passe admirablement, la voiture, c'est dur quand il fait froid. La machine à laver peut-être?
Quand on était à Chicoutimi, F. m'a dit qu'il avait fait une maîtrise en arts visuels sur la photobiographie, utilisant en particulier les écrits de Barthes et de Philippe Lejeune. Je ne me souviens plus du nom des photographes qu'il a cités. Qu'est-ce que la photobiographie? Au degré zéro, toute personne qui commence un album-photo la pratique, je suppose. Mais d'après lui les photobiographes ont pris des chemins plus complexes que j'aimerais bien explorer. Il dit que c'était très tendance dans les années 80.
Une artiste vue dans une galerie à Québec a écrit : "il n'y a pas de mots, il n'y a que des images" (mais pourquoi l'écrit-elle alors?) quand on écrit de la poésie, c'est certainement vrai, les mots sont des images, les images sont dans les mots. Mais moi, j'aime les mots, je les vois mieux que les images.
Quand je serai rentrée, j'aurai certainement moins de temps pour écrire. Ça va me manquer. Il faudra "enseigner" Enseigner, "ensenar", c'est montrer en espagnol?
J'ai essayé de montrer le Québec. Ce que j'en voyais, j'en sentais, j'en ressentais.Sans image. Juste avec des mots. Mais qu'est-ce que les autres en voient? des fois ce serait plus simple de mettre des images. Je me suis demandée une fois en regardant les érables : combien de mots y a-t-il pour dire "rouge"?
Mais un peintre aurait le même problème. Pas un photographe?
G. s'étonne du drapeau fleurdelysé et du buste de Louis 16 (que je soupçonne fort d'être en réalité Louis 14) sur la place Royale de Québec. Cela le choque, dit-il, parce que ça donne au touriste une impression de royalisme, d'ignorance de la révolution etc.. Comme si notre histoire devait forcément être le moule sur lequel se calque celle du Québec. Ce qu'ils mettent dans ces symboles est totalement différent de ce que nous y mettons. N. très véhémente : NOUS NE SOMMES PAS VOS COUSINS ! Et qu'on se le tienne pour dit! Ils n'ont pas fait la révolution, ils n'ont pas tué de rois, ils (une poignée de colons perdus, dit N. ) ont juste été abandonnés par des Français indifférents (on va pas se battre pour quelques arpents de terre glacée, dixit Voltaire) à des Anglais très intéressés par le deal . Alors on va pas venir leur faire la leçon sur ce qu'ils doivent adopter comme souvenirs historiques politiquement correct, non? N., toujours : "On vient de rien , on n'a pas d'histoire, on essaie de s'en faire une."
C'est légitime, je trouve.
Certains Français ont des difficultés à imaginer qu'on puisse voir le monde à partir d'un autre angle de vision qu'eux mêmes. C'est sans doute pour cela que à la rencontre à Alma une jeune femme à qui j'expliquais que j'étais une Française en exil m'a répondu : Ben, c'est aussi bien comme ça!
Hier on a encore chanté à pleine voix du Richard Desjardins, on a crié "v'la les Yankees" et "Liberté, liberté, le Coeur est un oiseau" J. a eu du succès, car il connaissait la chanson par coeur!