Une soirée slam a toujours lieu le dernier jeudi du mois au café Atlantik. Avec J. et M.L., on avait depuis l'été dernier le projet d'y assister, mais on ne l'avait jamais réalisé. On avait un peu peur de se faire remarquer comme des vieux de la vieille. D'ailleurs on était sûrement parmi les plus âgés, mais la scène slam est tolérante, et un des récitants était sans doute encore plus âgé que nous.
Le café était plein à ras-bord. Il fallait payer trois euros pour entrer, ce qui esr raisonnable. Le public était effectivement plutôt jeune dans l'ensemble. Nous avons fini par trouver un banc (sans table) inoccupé, assez près de la scène légèrement surélevée où devaient se produire les slameurs. Comme on était venus principalement pour entendre les textes, c'était idéal, on a donc coincé nos bouteilles de bière entre nos pieds, puisqu'on n'avait pas de table!
Sur le site de la fédération française de Slam, j'avais lu quelques descriptions de la manière dont se déroule ordinairement une soirée slam, donc je savais à peu près ce qui allait se passer. Le maître de cérémonie a pris le micro pour expliquer la procédure : il distribue parmi le public cinq paquets de feuilles et cinq stylos à cinq tables différentes qui feront ce soir-là office de jury. Les slameurs se sont inscrits auparavant sur la liste des participants. Ils ont au maximum sept minutes pour dire leur texte et chaque table-jury devra leur décerner une note de zéro à dix. Ensuite, on procède au tirage au sort pour savoir l'ordre de passage des slameurs. (C'est important parce qu'il est vrai qu'à partir du huitème ou neuvième, on n'a plus la même concentration d'écoute.)
Le maître de cérémonie est un jeune homme très dynamique, il possède de l'humour et une tchatche virtuose. il commence par dire un de ses propres textes(hors concours) intitulé WO? (où?), bien rythmé, bien scandé et aussi plein d'humour.
Mon impression générale à propos des différents participants: il y a vraiment de tout, du tout-venant parmi eux et c'est de nouveau la tolérance de la scène slam qui fait que l'on accueille tout le monde, que l'on applaudit tout le monde, même si on distribue parfois des zéros - assez mérités, il faut bien le dire! - Depuis cette dame qui visiblement est totalement à côté de ses pompes, mais semble avoir un terrible besoin de se faire mousser en public jusqu'aux véritables "Pros", (pour moi, il y en a 4, sans compter le M.C.) qui font des prestations remarquables.
Il y a aussi les "poètes à l'ancienne", qui viennent juste dire leur texte, rimé ou non (sur Tchernobyl, sur un clown triste) et des gens qui, à mon avis, confondent prose et poésie (satire d'un quartier bourgeois, pages tristounettes du journal intime d'un indécis, critique pseudo-intello du phénomène slam)
Pour moi, les pros, c'est par exemple ce Thommy qui crache ses mots et fait des bruits curieux avec sa bouche dans le micro et qui choque sans doute, parce qu'à un moment, ilmime une nausée vomitoire, entre deux phrases scandées à un rythme hallucinant.
C'est cette jeune fille qui raconte l'histoire d'un amoureux infidèle, sur un rythme haletant, entrecoupé, elle joue son texte avec tout son corps, on est saisi, emporté par sa gestuelle autant que par le texte.
C'est le jeune homme qui raconte avec humour comment, après s'être légèrement blessé à la main, il imagine comment le monde entier porte son deuil après sa disparition. C'est très drôle, enlevé, imaginatif.
C'est enfin ce duo qui complexifie le jeu en racontant á deux voix une histoire banale de vie dans un immeuble de banlieue. Ils se complètent, se répètent, se renvoient la balle, parlent en échos, forment des refrains, des mots, des phrases qu'on retient.
Je les mentionne en dernier, parce que moi, je leur aurais donné la palme. Mais le jury est souverain! ils n'ont pas eu la première place mais étaient très bien classés quand même. (On ne discute pas des notes données)
Au niveau de la réception, je dois dire que pour l'auditeur, enfin pour moi, il s'agit d'un phénomène assez nouveau et un peu déroutant. Déjà, écouter de la poésie à un rythme disons normal, c'est toujours un peu dur, car on n'a pas la possibilité de relire, de s'arrêter, de retourner en arrière, de s'interroger, etc...
Pendant les vacances de Paques j'ai écouté à Marseille Daniel Mesguisch lire des textes de René Char. La poésie de Char, c'est pas vraiment facile. Alors on cueille, on recueille au petit bonheur-la chance ce qui frappe l'oreille, ce qui peut-être forme un écho dans notre mémoire, des mots isolés, des sons peut-être, une phrase, une idée fugitive, une image fulgurante qui nous traverse et puis qui disparaît.
Alors là, c'est la même chose, mais en plus rapide. On n'a plus le temps de s'arrêter aux détails. Comme aujourd'hui dans tous les flots d'informations qui nous atteignent, qui nous traversent, qui nous marquent ou pas, c'est la rapidité qui prime. Il faut donc porter un jugement instantané. Je comprends, je comprends pas, ça me plaît, ça me plait pas...
De plus, pour être un slameur, il ne suffit pas d'écrire de bon textes, il faut savoir slamer, c'est à dire être un peu acteur, avoir une bonne présence scénique, pouvoir jouer, mimer éventuellement le texte et être rhétoriquement extrèmement performant. Bien sûr, on a le droit de lire son petit papier, mais celui qui vient les mains dans les poches et dit son texte sans hésiter impressionne bien davantage.
Comme je l'avais lu sur le site, il s'agit d'un tournoi, les quatre meilleurs ayant le droit de dire un autre texte, mais je l'avoue, on est partis à la fin du premier round, mis K.O par le bruit d'enfer de la musique pendant les pauses et entr'actes et surtout par la fumée épaisse, auxquels nous, pauvres cinquantenaires, ne sommes plus habitués...
J'oubliais: celui qui dit un texte a droit à une bière gratuite!
Mon impression d'ensemble: j'étais vraiment très contente d'avoir assisté pour de vrai à une session de slam, tout ce qui avait été dit sur la convivialité, la bonne humeur, la tolérance de ce genre de manifestation, je l'ai vraiment retrouvé là. J'ai entendu des textes moyens, mais aussi de très bons. Bref une expérience positive, et la preuve que les jeunes, certains jeunes, ont encore une maîtrise tout à fait remarquable de leur langue (ici l'allemand) et une aptitude à jouer avec qui me plaît bien. Tout cela me semble plutôt positif.
Voilà, j'aurai quand même réussi à écrire une fois au mois d'avril!