L'horreur boréale
le 10 octobre, vendredi soir chez N. Elle nous avait promis un film de Richard Desjardins, un poète, sur l'exploitation de la forêt boréale au Québec. Toutes les belles représentations romantiques que l'on peut avoir sur la forêt canadienne (par exemple quand je regarde de ma fenêtre l'autre rive du Saint Laurent et les Laurentides mystérieuses qui s'y profilent au loin) sont anéanties par ce film. Lui, Richard Desjardins est natif d'Abitibi, une province du Nord-Ouest du Québec et c'est là qu'il a filmé ce que les compagnies forestières ont fait de la magnifique forêt de nos songes :un désert. Ce qu'ils appellent les coupes blanches, ne laissant aucun arbre debout, pratiquées avec des machines qui cueillent les arbres comme on coupe les tiges de mais, les ébranchent puis les jettent sur des camions de transport. Après leur passage, c'est pire qu'après celui de Lothar, notre ouragan européen de 1999. La terre étripée, les traces profondes des tractopelles où se forment des rigoles d'eau, les morceaux de branches enchevétrées, le désert qui se prépare à régner. Le plus révoltant, parce que le plus hypocrite, ce sont les bandes boisées larges de quelques mètres qu'ils laissent au bord des routes, des chemins et des lacs pour qu'on ait l'impression que tout va bien : un décor de théatre! comme partout, le seul impératif est le profit, et comme la forêt ne repousse pas assez vite à leur gré et pas avec les arbres qu'ils voudraient, ils continuent à avancer à une vitesse hallucinante vers le Nord, vers la Toundra, dans des régions où les écosystèmes sont de plus en plus fragiles et ne s'en remettront sans doute jamais, dévastant au passage les territoires des Indiens Cri qui n'ont rien à dire (car tout se passe avec la bénédiction du gouvernement) et anéantissant la faune qui n'a plus d'habitat. Tiggerdan, tu as raison, la terre a mal et ça fait mal aussi aux humains...
Les coeurs d'écolos saignent en voyant cela, mais il explique que même au point de vue économique, c'est une aberration puisqu'ils scient la branche sur laquelle ils sont assis (c'est le cas de le dire!) en dévastant une forêt qui leur rapporte, sans lui laisser la moindre chance de se régénérer. Un ingénieur forestier dit :on ne plante pas une forêt comme on planterait un champ de patates , tu plantes, t'arroses, tu mets de l'engrais, tu arroses de pesticides pour enlever les chenilles et quand c'est prêt, tu récoltes. Une forêt , c'est compliqué. Quand elle a été arrachée, repousse d'abord une certaine sorte de végétation pour refermer les plaies, puis une certaine sorte d'arbres, puis d'autres plus forts. Mais les compagnies forestières n'ont pas le temps pour ces fariboles, ils plantent de l'épinette, un petit sapin qui pousse vite, et ils écrasent ou démolissent ou arrachent tout ce qui veut pousser à la place.
Avec J. en Gaspésie, on avait déjà constaté que la forêt était faite d'arbres rabougris et minuscules, serrés les uns contre les autres et que dans les scieries, on ne voyait que des petites planchettes de 15 cms de large avec lesquelles ils recouvrent leurs maisons. Il y a eu ici autrefois, des arbres magnifiques, énormes, majestueux. Il n'y a plus que ces petites allumettes pitoyables dont on fait à peine du feu. Il a appelé son film (de1999) l'erreur boréale, mais moi je pense automatiquement L'horreur boréale, comme l'horreur économique de Viviane Forrester.
1999-2005 Qu'est-ce qui a changé? Une prise de conscience dans la population, grâce au film qui a eu un certain succès, que la forêt n'est plus l'ennemi à combattre, comme elle a pu l'être au temps de la colonisation, qu'elle n'est pas non plus inépuisable, comme tout le monde avait tendance à le penser. Le gouvernement a décrété qu'on en couperait 20% de moins par année. Ça ne suffira pas vraiment pour lui permettre de se régénérer, mais c'est un premier petit pas.
Et les actionnaires, et les fonctionnaires, dans leur bureau, qui n'ont jamais vu un arbre de près, mais qui décident des prochaines coupes à effectuer!
Pas d'Eden. La folie humaine ne fait pas halte devant le Grand Nord.
C'était mon chapitre écologie.
Par ailleurs, Richard Desjardins est un poète fantastique!
Le temps a changé. Il fait gris, froid et pluvieux. Hier on s'est promené dnas la forêt seigneuriale de Philippe Aubert de Gaspé. Grâce à lui, on peut au moins se promener dans une forêt ouverte au public. J'ai terminé de lire ses mémoires, parfois d'intérêt inégal, mais parfois très intéressantes. J'ai lu aussi une biographie, pour combler les vides de l'autobiographiie où il passe sous silence un grande partie de la deuxième moitié de sa vie, en particulier pourquoi il a fait 4 ans de prison. (Quand il était shérif de Québec, il a confondu sa bourse avec celle de la ville de Québec, d'après ce que j'ai compris.) Beaucoup de nos élus en font autant, mais comme il était canadien français dont se méfiaient un peu l'administration anglophone, il n'y a pas eu de pardon. En fait je crois qu'il était totalement incapable de gérer une fortune. Par la suite, il a toujours laissé ce soin à des notaires. Ce qu'il aimait, c'était boire, rigoler, être un gentil Seigneur avec ses censitaires, aller à la chasse et à la pèche et raconter des histoires, et les écrire. Plutôt sympatique dans le fond...Ce qui est drôle, c'est que j'ai l'impression d'être sa voisine, je me balade dans sa forêt, j'ai vu son "banc seigneurial" à l'église de Saint Jean Port Joli, je passe souvent devant son moulin, je visite son four à pain et et son caveau à légumes...
Ce sera tout pour aujourd'hui, messieurs-dames!